Ce livre est sans doute le chef-d’oeuvre du romancier et poète albanais Ismaïl Kadaré, lui-même considéré aujourd’hui, après une douzaine d’ouvrages traduits, comme l’un des très grands écrivains de notre temps. D’une certaine manière, il fait pendant à l’autre gros roman de Kadaré publié en France au début des années quatre-vingt sous le titre Le Grand Hiver et qui évoquait sur un mode tragique la rupture des relations albano-soviétiques sous Khrouchtchev.
Roman total, Le Concert l’est dans le sens où le théâtre de Shakespeare peut être appelé ainsi, mettant en oeuvre le plus tragique et le plus burlesque, le psychologisme raffiné et la farce, le tellurique et le métaphysique, le poétique et le trivial. A sa manière, ce que nous révèle Kadaré, c’est que Shakespeare, s’il vivait encore, n’irait plus chercher aujourd’hui le canevas de ses pièces dans les royaumes d’Ecosse ou de Danemark, mais à l’Est, où l’Histoire charrie encore son bruit et sa fureur. Et qu’y a-t-il de plus à l’Est du monde _ de plus non occidental et de plus totalitaire _ que la Chine des dernières années de Mao?
Les différents “cercles” du roman embrassent cette époque, qui est aussi celle de la rupture des relations entre Tirana et Pékin. Qu’on y repense une seconde: cet “axe” entre une puissance d’un milliard d’hommes et un canton des Balkans regroupant trois millions de descendants d’Illyriens n’était-il pas déjà une de ces facéties absurdes, grandioses et dérisoires de l’Histoire telles qu’aimait à en faire revivre l’auteur de Macbeth?…
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