Les soliloques de Simaku: visionnaires, virtuoses, vivants
Solo. Thomas Simaku (1958-). Jérôme Comte ; Dimitri Vassilakis ; Aurélien Gignoux ; Clément Saunier (solistes de l’Ensemble Intercontemporain). 75’24″ – 2023 – Livret : anglais. NMC Recordings. NMC D278.
Le cycle débute en 1998, avec Soliloquy I, pour violon seul, écrit sans commande et dont la première violoniste à laquelle est donné de lire la partition dit : « Je ne peux pas faire ça, mais vous ne devriez rien changer du tout, car il y a des gens qui le peuvent ».
Les encouragements de Brian Ferneyhough font le reste et, depuis plus de vingt ans, Thomas Simaku (1958-) travaille à cette série (Soliloquy, un mot simple pour « un discours dans lequel une personne exprime ses pensées à voix haute sans s’adresser à une personne en particulier »), qu’il développe peu à peu à l’ensemble des familles instrumentales de l’orchestre et dont chaque chapitre se donne pour objectif de faire surgir les spécificités expressives et techniques de l’instrument, de les approfondir au point d’en dresser une carte d’identité détaillée, aussi complète qu’il se peut, portrait musical idiosyncrasique fouillé, virtuose et pour autant libre de formalisme excessif -on pense bien sûr aux quatorze Sequenza de Luciano Berio, écrites entre 1958 et 2002, pour la flûte, la voix, le violoncelle, le saxophone ou la trompette.
Soucieux de dépasser l‘exercice de style, le compositeur albanais, installé en Angleterre pour étudier la composition (c’est là, en 1991, que, confronté à un tsunami de modernité, il absorbe les Kurtág, Ligeti, Birtwistle et autres Boulez qui bouleversent son approche de la musique -il enseigne maintenant à la même Université de York qui l’a initié), développe la vision, toute schizophrénique, d’un unique protagoniste habité par différents personnages (autant que d’instruments porteurs de ces « soliloques »), chacun déroulant son monologue dans son propre dialecte.
Sur ce disque, qui sort de l’ordinaire, figurent trois nouvelles pièces du cycle, dont deux, celle pour clarinette -le jeu, d’apparence fluide comme s’il coulait de source, impressionnant de savoir-faire, est celui de Jérôme Comte, de l’Ensemble Intercontemporain- et celle pour trompette -Clément Saunier œuvre ici à une expression puissante-, font intervenir un piano résonant, qui agit comme un amplificateur de la chambre de résonance, alors que la troisième, pour percussions, mobilise bien sûr plusieurs instruments, mais explore en particulier le marimba -dont Aurélien Gignoux exploite la polyvalence et les contrastes-, ne laissant en paix la moindre des surfaces de son xylophone à résonateurs.
Catena II et Catena III continuent le travail entamé avec Catena I sur le potentiel du piano, ici aux mains expertes de Dimitri Vassilakis : le premier assemble six mouvements et autant d’idées de composition et d’interprétation ; le second, sous-titré Corona (allez savoir pourquoi), se love autour d’une structure rythmique qui réapparaît sans cesse, infectieuse comme un virus.
Son : 8 – Livret : 7 – Répertoire : 9 – Interprétation : 9
Chronique réalisée sur base de l’édition digitale.
Bernard Vincken
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