Kadare, nobelistë dhe personalitete të tjera, apeli për Europën
«Il y a le feu à la Maison Europe», le manifeste des patriotes européens
Trente écrivains internationaux, dont plusieurs Prix Nobel, ont répondu à l’appel de Bernard-Henri Lévy pour tirer la sonnette d’alarme, en exclusivité dans «Libération», sur la montée des dangers qui menacent l’Europe.
Tribune. L’Europe est en péril.
De partout montent les critiques, les outrages, les désertions.
En finir avec la construction européenne, retrouver l’«âme des nations», renouer avec une «identité perdue» qui n’existe, bien souvent, que dans l’imagination des démagogues, tel est le programme commun aux forces populistes qui déferlent sur le continent.
Attaquée de l’intérieur par des mauvais prophètes ivres de ressentiment et qui croient leur heure revenue, lâchée, à l’extérieur, outre-Manche et outre-Atlantique, par les deux grands alliés qui l’ont, au XXe siècle, deux fois sauvée du suicide, en proie aux manœuvres de moins en moins dissimulées du maître du Kremlin, l’Europe comme idée, volonté et représentation est en train de se défaire sous nos yeux.
Et c’est dans ce climat délétère que se dérouleront, en mai, des élections européennes qui, si rien ne change, si rien ne vient endiguer la vague qui enfle et qui pousse et qui monte et si ne se manifeste pas, très vite, sur tout le continent, un nouvel esprit de résistance, risquent d’être les plus calamiteuses que nous ayons connues : victoire des naufrageurs ; disgrâce de ceux qui croient encore à l’héritage d’Erasme, de Dante, de Goethe et de Comenius ; mépris de l’intelligence et de la culture ; explosions de xénophobie et d’antisémitisme ; un désastre.
Les signataires sont de ceux qui ne se résolvent pas à cette catastrophe annoncée.
Ils sont de ces patriotes européens, plus nombreux qu’on ne le croit, mais trop souvent résignés et silencieux, qui savent que se joue là, trois quarts de siècle après la défaite des fascismes et trente ans après la chute du mur de Berlin, une nouvelle bataille pour la civilisation.
Et leur mémoire d’Européens, la foi en cette grande Idée dont ils ont hérité et dont ils ont la garde, la conviction qu’elle seule, cette Idée, a eu la force, hier, de hisser nos peuples au-dessus d’eux-mêmes et de leur passé guerrier et qu’elle seule aura la vertu, demain, de conjurer la venue de totalitarismes nouveaux et le retour, dans la foulée, de la misère propre aux âges sombres – tout cela leur interdit de baisser les bras.
De là, cette invitation au sursaut.
De là cet appel à mobilisation à la veille d’une élection qu’ils se refusent à abandonner aux fossoyeurs.
Et de là cette exhortation à reprendre le flambeau d’une Europe qui, malgré ses manquements, ses errements et, parfois, ses lâchetés reste une deuxième patrie pour tous les hommes libres du monde.
Notre génération a commis une erreur.
Semblables à ces Garibaldiens du XIX° siècle répétant, tel un mantra, leur «Italia farà da sé», nous avons cru que l’unité du continent se ferait d’elle-même, sans volonté ni effort.
Nous avons vécu dans l’illusion d’une Europe nécessaire, inscrite dans la nature des choses, et qui se ferait sans nous, même si nous ne faisions rien, car elle était dans le «sens de l’Histoire».
C’est avec ce providentialisme qu’il faut rompre.
C’est à cette Europe paresseuse, privée de ressort et de pensée, qu’il faut donner congé.
Nous n’avons plus le choix.
Il faut, quand grondent les populismes, vouloir l’Europe ou sombrer.
Il faut, tandis que menace, partout, le repli souverainiste, renouer avec le volontarisme politique ou consentir à ce que s’imposent, partout, le ressentiment, la haine et leur cortège de passions tristes.
Et il faut, dès aujourd’hui, dans l’urgence, sonner l’alarme contre les incendiaires des âmes qui, de Paris à Rome en passant par Dresde, Barcelone, Budapest, Vienne ou Varsovie jouent avec le feu de nos libertés.
Car tel est bien l’enjeu : derrière cette étrange défaite de l’Europe qui se profile, derrière cette nouvelle crise de la conscience européenne acharnée à déconstruire tout ce qui fit la grandeur, l’honneur et la prospérité de nos sociétés, la remise en cause – sans précédent depuis les années 30 – de la démocratie libérale et de ses valeurs.
Signataires:
- Ismaïl Kadaré
- Milan Kundera
- Mario Vargas Llosa
- Herta Müller
- Orhan Pamuk
- Elfriede Jelinek
- Bernard-Henri Lévy
- Vassilis Alexakis
- Svetlana Alexievitch
- Anne Applebaum
- Jens Christian Grøndahl
- David Grossman
- Ágnes Heller
- György Konrád
- António Lobo Antunes
- Claudio Magris
- Adam Michnik
- Ian McEwan
- Ludmila Oulitskaïa
- Rob Riemen
- Salman Rushdie
- Fernando Savater
- Roberto Saviano
- Eugenio Scalfari
- Simon Schama
- Peter Schneider
- Abdulah Sidran
- Leïla Slimani
- Colm Tóibín
- Adam Zagajewski.